Morgane Imbeaud – Amazone
Bomber le torse, tomber le masque. Amazone. Dans son premier album solo, Morgane Imbeaud se livre sans concession, sans maquillage, à l’image de la photo de la pochette. Photographe à ses heures perdues, la musicienne a changé sa focale, sa mise au point. Oui, il est loin le temps où la jeune fée folk courait ses premières scènes avec le duo Cocoon. Pour ce projet, la compositrice s’est exilée en Norvège, seule, loin des autres, plus proche d’elle. Son constat : malgré une première partie de carrière bien remplie (au sein de Cocoon, Peaks et Orage, nombreuses collaborations avec Jean-Louis Murat, Julien Doré, Elias Dris, sans oublier son conte musical Les Songes de Léo), Morgane a toujours officié en duo. Besoin d’avoir un allié, d’être épaulée ; à vingt ans, les aventures se partagent et le renfort rend fort. E
ELECTRO-FOLK AU ROYAUME DES FJORDS
Au Nord toute, comme elle le chante pour ouvrir cet album baigné de décors scandinaves. Des claviers sobres, un Rhodes hypnotique, quelques lézardes de guitares électriques, une voix au premier plan, sans effets, le dépouillement tout au long des portées. « Less is more » pourrait être le credo de cet album cathartique, riche en clairs-obscurs, en aurores musicales. Illustrer la nature brute et sauvage du « pays du soleil de minuit », (se) dévoiler en peu mots, en peu de notes, la musicienne clermontoise esquisse des fresques pointillistes, sans surcharger la bulle ni se planquer derrière les légos de pistes. Quand on vient du pays des volcans, on est habitué à guetter les premières étincelles. Si elle renoue avec ses premières amours folk, pas question de tomber dans les boiseries de guitares acoustiques, l’ex-Cocoon marie la froideur des machines à la chaleur des cordes les bandes analogiques aux sons électroniques. Dans cette optique, elle a enregistré cet album au mythique studio Black Box, fondé par Iain Burgess et Peter Deimel. Sur place de l’analogique et des trésors vintage, dont une table de mixage Flickinger de 1969. Des jouets d’un autre temps pour un disque intemporel.
L’AUTRE GUERRE DE L’AMAZONE
Qu’est allée faire la fée Morgane au pays des Vikings ? « Je voulais partir seule, moi qui ai longtemps eu peur de la solitude », confesse-t-elle. Elle a trente ans. Depuis quelque temps, Morgane s’émancipe, tant humainement qu’artistiquement, elle cherche, chemine, suit de nouvelles pistes. La musicienne ne craint pas les carrefours, mais sait pertinemment qu’il lui faudra changer de boussole. L’amazone sort de sa zone de confort et prend le premier billet d’avion. Va pour la Norvège, dans les glaglas de novembre. Sur place, lors d’une balade sur l’île de Gressholmen, au large d’Oslo, elle vit « un rare moment de plénitude. » Gravé dans son corps, son cœur, son crâne et désormais sur sillon : la chanson éponyme sera sa déclaration d’indépendance : « Loin des miens / Non, plus rien ne peut m’atteindre / Je n’ai plus peur de dire / Que sans vous, tout va bien ». À l’écoute de cette féérie pop aux chœurs de sirènes, on ne peut s’empêcher de penser à une Emily Loizeau et à ces musiciennes de caractère, « à univers », souvent seules sur scène, sans bonshommes ni bidouilles ajoutés. Au fil des chansons, la route de l’Amazone se précise : aux premiers décors scandinaves, riches de fjords, de montagnes immergées, succèdent peu à peu les plongées intérieures. « Jusqu’ici, je n’osais pas trop imposer mes idées. Pour cet album, j’ai forcé ma nature, je me suis libérée. Je n’ai plus peur de moi-même… » Morgane s’est mise à nu et en mode guerrière donc : à l’image de sa musique, elle a épuré le propos et durci le ton. « Durant la phase d’écriture, je me posais cette question : qu’est-ce qu’être féministe en 2019 ? S’il est essentiel, ce combat repose pourtant sur une absurdité : le droit des femmes n’est-il pas celui de chaque être humain avant tout ? Les femmes ont toujours été rabaissées, car elles terrorisent les hommes. Nous sommes obligées de marcher avec notre tête. » Elle a beau fuir tout ce qui est frontal, Morgane Imbeaud n’est pas du genre à lever les poings sans rien y mettre dedans : « Je suis de celles qui se lèvent / Je suis de celles qui règnent», écrit-elle dans la chanson « Amazone ».
LES MONDES DE MORGANE
Amazone est un album solo, non solitaire. Il y a là un duo avec Marina Hands (Messenger), un autre avec Chris Garneau pour un dialogue cotonneux à l’esthétique glam-rock down tempo (« Je t’en veux » – Comme le titre « Black Winter », cette chanson est inspirée du conte « L’Eau Noire » que j’avais écrit pour mon projet Les Songes de Léo. Elle parle de ces gens qui sombrent et qu’il faut constamment remonter à la surface, ces proches qui ne savent que nager en eaux troubles »). Mais aussi un texte écrit par Mickaël Furnon (« Je ne vous oublierai jamais ») sur une mélodie easy listening et sweet sixties, où la encore, l’auteure règle la mire : « Je n’ai jamais su voler dans le vent / J’ai trafiqué mon cerveau bien trop longtemps ». Morgane joue en équipe sur la parabole pop « Si l’amour est un sport », écrit par l’ami auvergnat Jean-Louis Murat à propos des tacles incessants qui cassent les guiboles et les projets d’avenir des amants. Et puis, il y a Renaud Brustlein de H-Burns, le réalisateur d’Amazone, parfois compositeur. L’âme sœur. « Renaud m’a aidé à m’assumer, à lâcher-prise, notamment sur la voix. Je n’essaie plus de chanter comme une petite fille… », avoue-t-elle. Comme sur la complainte « Rien ne dure », simple et vertigineuse à la fois, avec son intro a cappella, ses mélopées a minima, l’émotion à fleur de peau. Qu’elle se rassure, les Amazones sont immortelles.